Vogue (France) June/July 2003
Bons baisers de Russie
Actrice taillée pour performances très physiques, révelée par Besson, mannequin star convoité par les titans du luxe, Milla Jovovich, ukrainienne, 26 ans, reste un mystère difficile à déshabiller. Conversation sans fard au Polo Lounge du Beverly Hills Hotel.
Par Lisa Eisner et Roman Alonso
LISA EISNER: Des millions de sites russes parlent de vous sur le web. Vous êtes la plus grande star de Russie?
MILLA JOVOVICH: Je ne suis pas allée là-bas depuis un moment, mais les amis de ma mère me disent qu’on voit ma photo partout.
ROMAN ALONSO: Il y a beaucoup de mannequins de l’Est aujourd’hui, alors qu’elles étaient nettement moins nombreuses quand vous avez débuté.
MJ: Paulina Porizkova était extraordinaire. C’était le plus grand mannequin quand j’ai commencé, en 1987. Quand j’y pense, j’ai l’impression d’avoir 40 ans. Quand je regarde mon copain qui a 38 ans, je me dis que moi aussi, je devrais avoir cet âge-là. Si j’avais commencé à travailler aprés le fac comme une personne normale, compte tenu de tout ce que j’ai déja accompli, c’est bien 40 ans que j’aurais maintenant.
RA: Vous aviez effectivement 12 ans quand Avedon vous a photographiée pour la campagne Revlon intitulée “Les femmes les plus inoubliables”.
LE: Des femmes inoubliables? Vous étiez une enfant! Comment vit-on ce genre de choses quand on a 12 ans?
MJ: Ma mère m’a élevée de façon très stricte. J’au eu une éducation typiquement russe, très terre à terre. On vous rappelle constamment que vous êtes un peu la petite crotte de vos parents. Ça sonne plus mignon en russe, mais ma mère me surnomme “sa morveuse”. J’étais une gamine très disciplinée. On ne m’a jamais traitée en petite princesse, on ne m’a jamais dit “Oh, ce que tu es jolie avec ça!” Ma mère me critiquait plus qu’elle ne me complimentait: c’est une autre caractéristique russe. L’idéé, c’est qu’il ne faut pas laisser un enfant se monter la tête. C’est drôle, je crois que je suis plus enfant maintenant, parce que justement je n’ai plus peur de l’être. J’ai plus de liberté. Avant, j’essayais toujours apparaître adulte, j’étais plutôt précoce. Quand je revois des interviews de moi petite, je n’en reviens pas.
RA: On vous a forcée à brûler les étapes.
MJ: Pas du tout. Nous sommes des immigrés et nous n’avions pas le choix: nous voulions nous en sortir, et pour ça, il fallait travailler. Quand je rapportais de l’école des fascicules d’information sur les études en fac, ma mère me disait: “Arrête de parler de l’université. Tu seras une star de cinéma!” Mes parents étaient gardiens chez Brian de Palma, nous vivions dans la maison d’amis. Ma mère disait: “Les gens font des études pour trouver du travail. Tu as un travail, tires-en le maximum.”
LE: Vous croyez qu’elle rêvait de ce genre de carrière pour elle-même?
MJ: Peut-être. Ma mère êtait actrice en Russie, c’était le seul monde qu’elle connaissait. Je pense que si elle avait été docteur, j’aurais fait des études de médicine.
LE: Votre mère ne manque pas de poigne. Elle a dû vous transmettre ça, parce que vous incarnez toujours à l’écran des femmes énergiques. Je crois que les hommes vous voient comme la fille indépendante, battante, décontractée.
MJ: Vraiment? Dieu merci! Je suis sûre que j’en jouerai encore de ces rôles de femmes fortes. C’est ce que les gens ont envie de me voir jouer.
RA: Et comment vous-même auriez-vous envie que les gens vous voient?
MJ: J’adorais faire un film sur des amis. Sur un couple, une histoire normale, des films un peu moins énormes, avec un peu moins de science-fiction et d’action, où je serais plus moi-même.
LE: Vous avez incarné Jeanne d’Arc, la grande héroine française.
MJ: Hélas, le symbole de l’extrême droite.
LE: Quelles ont été les réactions? C’est un peu comme incarner Jésus.
MJ: Vous savez, je crois que ce que comptait vraiment pour moi, c’était de dépasser le symbole et de comprendre ce qu’une fille de 19 ans pouvait ressentir en se trouvant projetée dans cette situation. Je voulais retrouver la personne au-déla du mythe et de la légende.
LE: Écrivez-vous toujours de la musique?
MJ: Je compose à la guitare, mais plus en professionnelle. J’ai donné beaucoup de représentations mais, l’année dernière, mon guitariste est mort dans un accident de voiture. J’ai décidé de faire une pause. En ce moment je m’occupe plus dans le stylisme. J’ai dessiné des T-shirts avec Carmen Hawk, ma partenaire.
LE: Comment s’appelle votre société?
MJ: Nous n’avons pas encore de nom, nous commençons à peine. Nous avons dessiné beaucoup de choses, avec l’espoir peut-être de travailler pour une maison plus grande, ou d’être invitées par quelqu’un pour une saison. J’ai l’impression que les choses que j’aime le plus ne changent pas. Je pense ça de l’élégance en général. Si un vêtement est classe, ça vaut pour aujourd’hui demain et hier. On peut porter sans fin la même robe noire. Si elle vous va, c’est la première chose à sauver dans un incendie... Rien n’est plus difficile que de trouver la jupe, le jean ou la veste parfaits. C’est à ça que nous voulons répondre: créer une garde-robe classique pour n’importe quelle fille.
RA: Je suppose que beaucoup de femmes ne sont pas assez sûres d’elles pour accessoiriser leurs tenues.
MJ: Je comprends ça, parce qu’il m’arrive moi-même d’en être incapable, de paniquer. C’est une question de confiance en soi. Dans ces cas-là, je reste chez moi en survêtement et je bouquine. Je refuse d’infliger mon humeur aux autres. Par exemple, je suis allée à la fête de Vogue Paris, pomponnée, en me disant que tout le monde allait s’habiller. En fait, tous les invités étaient en décontracté, pantalon et chemise. Je savais que mon instinct était le bon et que j’aurais dû mettre un pantalon mais, évidemment, j’y suis allée en robe de soirée avec des diamants. Tout le monde dansait et buvait, il y avait beaucoup de gens, certains fumaient et j’avais peur que quelqu’un brûle ma robe avec sa cigarette. Je ne sentais pas à l’aise. Je me suis mise à l’écart juste à cause de cette robe. Tout le monde s’amusait et moi, j’étais raide et coincée avec ma robe à $1400.
RA: Mais c’est bien quand on se fiche de ce qu’on porte. Ce ne sont pas que des vêtements!
MJ: Ce ne sont pas que des vêtements, ça coûte cher et je suis russe, je ne vois pas les choses comme ça. Je m’occupe trés bien de mes vêtements. Vous savez quoi? Les filles qui négligent leurs vêtements et qui ne les traitent pas avec respect ne les méritent pas. Aussi riche que soit une fille, si elle jette sa robe en soie par terre et qu’elle marche dessus, eh bien, j’espère que quelqu’un la lui mettra en pièces.
RA: Avez-vous des idoles?
MJ: Jane Birkin m’inspire beaucoup. Elle est impressionnante.
RA: L’avez-vous rencontrée?
MJ: C’est une amie. Elle semble ne jamais quitter son pull et son jean.
LE: Voilà quelqu’un qui est bien dans sa peau.
MJ: Pour en revenir à la confiance en soi, je voudrais dire que c’est un effort pour moi d’aller à des réceptions et des événements, de devoir me montrer, sourire, être aimable. C’est la chose la plus difficile au monde et parfois, on se demande où est passée l’assurance qu’on avait le mois précédent. Je me souviens m’être regardée dans la glace en me disant: “Wouah, rien ne peut m’arreter!” et puis aprés, m’être sentie complètement perdue, ne pas vouloir sortir de chez moi.
RA: Tout le monde en passe par là. Je suis sûr que ça arrive à Jane.
MJ: Plus on a un tempérament artiste, plus on risque de se retrouver complètement noué.
RA: Pour quelqu’un qui a grandi dans le milieu du spectacle, vous semblez trés équilibrée. Vous ne faites pas partie du club Judy-Liza-Liz.
MJ: Je l’espère. Je suis encore jeune mais sait-on jamais? On en reparlera dans vingt-cinq ans.