Centre France June 10, 2001

Grand Écrat

by Marcia Maalox

Elle incarna la vertueuse Jeanne d’Arc du film de Luc Besson, et nous revient prostituée dans Rédemption, qui sort sur nos écrans ces jours-ci.


Elle a de grands yeux et une voix un peu cassée. Une silhouette androgyne et une allure garçonne ; dans la rue, elle ne marche pas : elle ondoie. Sainte dans Jeanne d’Arc, elle est prostituée dans Rédemption, le nouveau film de Michael Winterbottom. Milla Jovovich fait ainsi le grand écart entre ciel et enfer, vertu et vice, avec un naturel confondant. C’est bien dans son genre, cette promenade dans l’entre-deux chanteuse et actrice, américaine et ukrainienne, rock et romantique. Dans Jeanne d’Arc elle sauvait la France de l’invasion anglaise et rendait à la nation son identité devant Dieu. Dans Rédemption adapté du beau roman de Thomas Hardy le Maire de Casterbridge. elle tombe amou-reuse d’un prospecteur qui, naguère, a abandonné sa femme et sa fille. Dans cette Amérique du siècle dernier, Milla retrouve sa dualité. Ange et démon, bien sûr.

Une vie et une cariere déjà bien remplies

Dans les hôtels où elle demeure, elle ne passe guère inaperçue: un brin de maquil-lage la transforme en top model. Elle a beau se vêtir au décrochez-moi-ça, rien à faire: on détecte l’habituée des podiums. On l’aborde parfois pour un autographe, on lui pose des questions sur sa vie privée qu’elle enveloppe de mystère. Bien sûr, elle a été Mme Luc Besson il n’y a pas si longtemps, elle a même tourné deux films avec le réalisateur le plus chanceux du cinéma français. Puis les choses se sont délitées, elle a repris sa liberté. Leurs carac-tères ne seraient pas exactement compa-tibles. Les chemins ont divergé. Il fera encore un ou deux films, retranché dans sa propriété de Sées, en Basse-Norman-die. Elle ira conquérir le monde, via Hol-lywood. Milla Jovovich ne traîne pas en route. Elle flaire le vent et s’établit là où il la mène. Puis repart. Si bien qu’elle a nombre de kilomètres derrière elle, et une carrière déjà fournie. Elle n’a que 25 ans. A 1l ans, elle était mannequin. A 15, elle aurait pu dormir, comme l’Onc’Picsou, sur un tas de dollars. A 16, elle gravait un disque. Pourtant son succès, désiré, lui reste étranger : elle ne comprend pas bien ce qu’on lui trouve. Peut-être un brin d’exotisme... «Quand les adolescents de ma génération s’interrogeaient sur ce qu’ils feraient un jour, moi je me demandais quel contrat j’allais signer. » Milla Jovovich avait une tête d’avance, Il y a une expli-cation : elle prend bien la lumière, et l’ob-jectif de l’appareil photo l’adore. Il y a un mystère de la photogénie, que Milla in-carne. Très vite les professionnels l’ont repérée : elle a porté les chemises de Ver-sace, les vestes d’Armani et les couleurs de L’Oréal. Bien conseillée, elle a mon-nayé son visage et cette allure moderne de fille-garçon et acquis une indépendance précieuse: «Je ne suis pas forcée d’ac-cepter n’importe quoi », dit-elle. Faire le tri, voilà le luxe de la vie...

Une vagabonde dans l’âme

Elle est de partout et de nulle part. C’est une Gitane dans l’âme, une vagabonde. Milla Jovovich est née en Ukraine, à Kiev, en 1975. Elle a vécu en France, aux Etats- Unis, peut-être en Laponie? Son père, mé-decin, a quitté sa Yougoslavie natale (à l’époque où le pays existait) pour un stage à Moscou. La ville lui tourna la tête, et une actrice soviétique lui chavira le coeur. Le docteur continua à soigner, l’actrice aban-donna son art, mais en parla plus tard à sa fille. Milla hérita de la nostalgie : maman racontait la poussière des studios, l’odeur du fond de teint, la camaraderie, les camé-ras. Il est des rêves qui se transmettent... En 1981, au plus fort du règne géronto-cratique des caciques du Parti, La famille Jovovich passe le Rideau de fer. Direction Berlin, Paris, New York, Sacramento. La Californie. Milla découvre décapotables, feuilletons télé, ketchup et Billy Joel. L’au-baine, pour une enfant. Elle apprend la langue sans tarder. Sa mère La pousse vers le show-biz et Milla se laisse faire: c’est plus amusant que le carré de l’hypoténuse.

Rock et fugues en cascade avant la consécration

Elle écoute Nine lnch Nails et U2, pose pour des magazines, s’offre une guitare électrique à l’âge où ses copines jouent avec Barbie. Le rock la passionne. Elle se voit avec un micro face à des spectateurs spasmodiques. Maman grince : «Passe ton bac d’abord... » Milla s’enfuit avec un garçon qui passait par là et l’épouse à Las Vegas. Trois jours plus tard, Mme Jo-vovich fait annuler le contrat de mariage: fifille n’a que 16 ans ! Retour à la case dé-part. Refugue avec un bassiste, cette fois à Londres. C’est plus loin. Là, les gens de la mode la contactent: Mario Sorrenti, le photographe des top models. la prend dans ses bras et sous son aile: une consé-cration. Les impresarios lui font des offres, les grands couturiers l’invitent. La gloire? Certes. Mais il y a le cinéma: Milla joue dans Retour vers le lagon bleu, dans des comédies, enfin dans le Cinquième Elément, qui fait un tabac. En un mois, elle devient l’idole des ados. Sans perdre le nord : «Je viens de fonder ma propre maison de production « , dit-elle. Dans Ré-demption, elle donne une note mystique, lointaine, à son rôle de madone des trottoirs. Elle joue de son charme ambigu tout en constatant avec simplicité qu’elle préfère être une femme: «On a le droit de pleu-rer, on porte de jolies robes et on est sauvées les premières quand le bateau coule... »